Commentaire d’œuvre 16 > Exposition Autour du dessin…
« Le dessin est la probité de l’art »
Jean-Auguste Dominique Ingres.
Le dessin, projection des idées futures et réalisation aboutie, reste encore aujourd’hui une source d’interrogation et de ravissement. Il joue entre un non-finito prometteur et un achèvement particulièrement fin, en quête de perfection. Il engage aux futurs possibles et encre le passé dans un éternel présent : celui de la possibilité d’un chef- d’œuvre. Le dessin, aussi petit soit-il, est la marque première des constructions imaginaires de l’âme des artistes. Il est la matière éternellement vivante, et vivace, qui constitue la beauté sortie de la sueur des esprits qui créent.
Le dessin, toujours, invite à croire.
« Drawing is the integrity of art »
Jean-Auguste Dominique Ingres.
Drawing, projection of future ideas and successful realization, remains a source of questioning and delight to this day. It plays between a promising non-finito and a particularly fine completion, in search of perfection. It engages in possible futures and inks the past in an eternal present: that of the possibility of a masterpiece. Drawing, however small it may be, is the primary mark of the imaginary constructions of the soul of artists. It is the eternally living, and vivacious matter, which constitutes the beauty emerging from the sweat of the spirits who create.
The drawing, always, invites to believe.
Les gravures, les sérigraphies, les éditions limitées, sont autant de moyens de pouvoir s’offrir des œuvres à moindre coût. Les gravures furent utilisées dès leurs création, (vers 1400 en Europe) pour faire voyager l’idée des chef-d‘œuvres de maîtres, assouvir les désirs des collectionneurs et servir de modèles aux autres artistes en devenir. La gravure présentée ici, « Rêve », un tirage unique, est l’œuvre de Dongni Hou. Elle rappelle les grandes batailles renaissantes, dont celle de Cascina, plus onirique et esthétique que violente.
Engravings, silkscreens, limited editions, are all ways to be able to afford works at a lower cost. The engravings were used since their creation, (around 1400 in Europe) to make travel the idea of masterpieces of masters, satisfy the desires of collectors and serve as models for other artists in the making. The engraving presented here, «Rêve», a unique print, is the work of Dongni Hou. It recalls the great Renaissance battles, including that of Cascina, more dreamlike and aesthetic than violent.
Là aussi, chez Adrien Eyraud, c’est un peu la Renaissance qui s’assemble avec l’Artémis polymastos (aux multiples seins), avec les pleureuses traversant les siècles de l’histoire de l’art, ou avec les trois déesses d’une Arabie pré-islamique, Allat, Uzza, Manat, format une seule masse de sororité et de tristesse. C’est un mélange de références qui parlent pourtant d’une même douleur, celle de la femme, chrétienne ici, dans l’acte des pleurs, tout en ombre et en lumière.
Here, too, with Adrien Eyraud, it is a bit of the Renaissance that is assembled with the Artemis polymastos (with multiple breasts), with the mourners crossing the centuries of art history, or with the three goddesses of a pre-Islamic Arabia, Allat, Uzza, Manat, a single mass of sorority and sadness. It is a mixture of references that speak of the same pain, that of the woman, a Christian here, in the act of crying, all in shadow and light.
Chez Zachari Logan, c’est un bleu clair, vif et étonnant qui peuple les lignes de ce fin dessin à la précision digne d’un pré-raphaélite, d’un amoureux des arts and crafts. Le bizarre se mêle aux détails naturalistes. C’est encyclopédique, c’est détonnant, troublant, magnifique. On croit revoir un cyanotype, ce procédé photographique monochrome négatif ancien, mais inversé, où le bleu joue le rôle du blanc.
At Zachari Logan, it is a light blue, bright and amazing that draws the lines of this fine drawing to the precision worthy of a pre-Raphaelite, a lover of arts and crafts. The bizarre mingles with the naturalistic details. It’s encyclopedic, it’s striking, it’s disturbing, it’s beautiful. We believe we are seeing a cyanotype, this old negative monochrome photographic process, but reversed, where blue plays the role of white.
Voilà un dessin, de Maja Wisniewska, où toute notre introduction prend sens : ce qu’il reste de brouillon, d’indications et de notes encadre le dessin mesuré, fini et pensé. Ici règne la précision extrême des traits, qui forment comme une constellation, de points en points. C’est une géométrie poétique régie par les seules lois d’un visage, aussi mathématiques qu’imprévisibles.
Here is a drawing, by Maja Wisniewska, where all our introduction takes meaning: what remains of draft, indications and notes frames the drawing measured, finished and thought. Here reigns the extreme precision of the features, which form like a constellation, from points to points. It is a poetic geometry governed only by the laws of a face, as mathematical as unpredictable.
Avec des modèles contemporains, faire de l’intemporel. Voilà ce que l’on retrouve dans les dessins d’H. Craig Hanna. Ses études sont autant de briques vers ses œuvres réalisées sur Plexiglas, il ne peut faire sans la nature pour accéder au bel artifice qu’est l’art. Le dessin transpire le vécu, le travail de l’artiste, son atelier. Il semble plus sauvage, mais pourtant aussi maîtrisé qu’un Sargent : ils partagent le même don du regard perçant.
With contemporary models, make the timeless. This is what we find in the drawings of H. Craig Hanna. His studies are as many bricks towards his works made on Plexiglas, he cannot do without nature to access the beautiful artifice that is art. The drawing transpires the experience, the work of the artist, his studio. He seems more savage, but yet as mastered as a Sargent: they share the same gift of piercing gaze.
Enfin, le dessin peut parfois terrifier davantage que le monumental. L’encre est si forte, si parlante, si sombre, qu’elle nous plonge dans des abîmes de réflexions qui ne nécessitent pas d’autres éléments pour réussir à naître. Ici, chez Ofer Josef, c’est une image apparemment effrayante qui révèle pourtant la stricte réalité de l’existence, tournante, qui fait que la mort engendre la vie, et le vivant, aussi, engendre le mortel. C’est l’obscurité qui côtoie la clarté. La beauté qui se fane et qui invite déjà la prochaine à fleurir.
Finally, drawing can sometimes terrify more than the monumental. The ink is so strong, so eloquent, so dark, that it plunges us into depths of reflections that do not require other elements to succeed in being born. Here, with Ofer Josef, it is a seemingly frightening image which nevertheless reveals the strict reality of life, revolving, which makes that death begets life, and the living, also, begets the mortal. It is darkness that rubs shoulders with clarity. Beauty that fades and invites the next one to bloom.
En six artistes, la puissance du dessin se profile déjà, relié à la peinture, à la photographie, à l’architecture et à la sculpture. Il se suffit à lui-même ou aspire à d’autres horizons, il devine, il espère, il rend possible.
C’est Dibutade, selon une légende grecque, fille de potier, qui l’aurait inventé pour ne jamais perdre le souvenir des contours de son bien-aimé, parti à la guerre. Depuis, il cultive encore l’art du souvenir, l’art du geste présent et celui de la promesse.
In six artists, the power of drawing is already emerging, linked to painting, photography, architecture and sculpture. It is self-sufficient or aspires to other horizons, it guesses, it hopes, it makes possible.
It was Dibutade, according to a Greek legend, the potter’s daughter, who invented it in order never to lose the memory of the contours of his beloved, who had gone to war. Since then, it has continued to cultivate the art of remembrance, the art of the present gesture and the art of the promise.
Laure Saffroy-Lepesqueur